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Le blog d Artemisia L
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"La jalousie, une passion inavouable" de Giulia Sissa (2015)

"La jalousie, une passion inavouable" de Giulia Sissa (2015)

Le livre de Giulia Sissa nous offre une histoire de la jalousie, et partant du sentiment amoureux, d'Euripide (Médée) à Kant, Simone de Beauvoir et Sartre, en passant par Aristote, Sénèque, Lucrèce, et Ovide, et bien entendu Shakespeare et son Othello.

D'un côté, l'on trouve ceux qui estiment que la jalousie n'a rien de honteux ni d'anormal : la Médée d'Euripide, trahie et abandonnée alors qu'elle a mérité la reconnaissance de Jason, a bien raison de hurler et d'exprimer sa fureur, et même de tuer sa rivale ; son seul crime est de se tromper d'objet, quand elle tue ses enfants. Si elle ne réagissait pas, si elle se résignait, elle montrerait une âme d'esclave, dépourvue de fierté et d'honneur.

Mais par la suite, avec Lucrèce et Sénèque, la jalousie devient une passion honteuse : d'une part l'amour n'est qu'une illusion, une erreur qui confond un simulacre avec un corps réel (Lucrèce) ; d'autre part, tout affect n'est qu'une preuve de faiblesse et de mésestime de soi (Sénèque).

Avec Kant, et par la suite Simone de Beauvoir et Sartre, c'est encore pire : l'amour, le sexe, pour le premier, n'est qu'une monstruosité qui transforme l'être humain en chose, et qu'il faut fuir à tout prix - excepté pour la seule intention de la procréation. Il ne devait pas être amusant à vivre tous les jours, le philosophe de Königsberg !...
Quant à Sartre et Beauvoir, ils prônent une "transparence" plutôt glaçante : chacun vagabonde de son côté, sans rien cacher à l'autre, qui ne doit en aucun cas faire mine d'en souffrir...

Giulia Sissa, elle, veut réhabiliter l'amour, et partant la jalousie : oui, l'amour existe, est un plaisir, et ne vit que par la volonté, réciproque, d'être tout pour l'autre, de le séduire, de lui plaire ; oui, la jalousie est normale : si l'autre est tout pour moi, s'il me quitte pour une autre, je peux être dévasté(e).

Et il en résulte une éthique de l'amour, qu'Ovide a si bien décrite dans toutes ses oeuvres, aussi bien L'Art d'Aimer que les Héroïdes ou les Métamorphoses : se livrer aux plaisirs de l'adultère, oui, mais sans faire souffrir l'autre, donc dans la discrétion - certains mensonges sont bienveillants et bienfaisants ; soupçonner l'infidélité de l'autre,  oui, mais sans enquêter, sans chercher à tout prix à savoir...

La Jalousie est un livre qui fait du bien ; par son érudition souriante, sa richesse ; par une philosophie sans austérité ni orgueil, à hauteur humaine - une philosophie féministe sans acrimonie,  et donc libératrice.