Cette épidémie a fait entrer, dans le langage courant, bien des expressions ou tout à fait nouvelles, ou qui avaient pris un sens inusité, un usage nouveau… avec cette effrayante tendance à la fabrication, en continu, de ce « langage cuit », quasi automatique, cette pensée « pré-emballée » ou « pré-mâchée », cette fabrique ininterrompue de clichés…
- Antivax : étrange tribu qui refuse la vaccination, soit toute forme de vaccination (mieux vaut la polio ou le tétanos que le vaccin ?), soit celle-ci précisément, parce que le vaccin a été trop rapidement trouvé, ou pour des raisons bien plus farfelues : parce que cela injecte des métaux lourds dans le corps, ou une puce pour nous fliquer, ou parce que cela fera de nous des mutants avec des cornes multicolores… que sais-je encore ?
Une partie de ces « antivax » ne va pas tarder à vilipender le gouvernement parce que les doses n’arriveront pas assez vite…
- ARN messager : c’est le principe des nouveaux vaccins, celui de Pfizer et celui de Moderna. Il s’agit d’injecter un petit brin d’ARN du virus pour « enseigner » au système immunitaire à le reconnaître et le repousser. Une technique connue mais encore pas utilisée chez l’homme, et une source inépuisable de mensonges et de fantasmes.
- Asymptomatique : personne infectée, mais qui n’est pas malade. Si on la détecte, elle doit tout de même s’isoler ; si on ne la détecte pas, elle contamine la famille, les amis, les vieux parents… de quoi se sentir coupable le reste de ses jours ! Suspicion généralisée, telle que le docteur Knock n’aurait osé la rêver : « tout homme bien portant est un malade qui s’ignore… »
- Attestations dérogatoires de sortie : petite merveille de l’administration française, qui adore les paperasses humiliantes et totalement inutiles. En temps de confinement, il faut la remplir scrupuleusement et la présenter aux forces de l’ordre s’ils la demandent. Il ne suffit pas de charger un plein caddie de courses sur le parking d’un supermarché pour prouver que vous faites vos courses : il faut avoir coché la bonne case sur l’attestation. De même, un chien au bout d’une laisse ne démontre pas que vous « répondez aux besoins d’un animal de compagnie » : là encore il faut le marquer sur l’attestation… Et gare à vous si, atteint de la maladie d’Alzheimer, vous faites une petite erreur de date : 135 € d’amende…
J’ai fait le calcul : à deux, en deux confinements, j’ai dépensé environ 200 feuilles de papier… de manière totalement, absolument inutile : nous n’avons jamais été contrôlés !
- Bûche de Noël : elle n’aurait rien à faire dans ce lexique… si le Premier Ministre Jean Castex n’avait eu cette formule délicieuse : « pour éviter les contaminations, on coupe la bûche en deux, et Mamie va la manger seule à la cuisine ! »
- Cas contact : toute personne ayant approché pendant au moins quinze minutes, sans masque, une personne infectée. En réalité, un véritable cauchemar : à tout moment, on peut être appelé par l’assurance-maladie, qui vous fait savoir que vous êtes « cas contact » d’un tel ou d’un tel… et que vous devez, durant sept jours, quitter votre travail, annuler tous vos projets, vous faire tester… l’amusant de la chose, c’est qu’après cela, vous n’êtes en rien prémuni : deux jours après, tout peut recommencer !…
- Confinement : enfermement de chacun, dans la mesure du possible… On a même inventé le « déconfinement », le « reconfinement », le « confinement partiel »…
- Contact tracing : fait de retrouver tous les contacts d’une personne infectée. Un anglicisme de plus…
- Coronavirus : Jusque là, il y avait des coronavirus, toute une famille de virus qui cohabite avec l’humanité depuis que celle-ci existe ; ces virus auraient plusieurs centaines de millions d’années ! Il y en aurait plus de 5000, dont une petite poignée seulement se transmet à l’homme… et cela donne ces rhumes si récurrents chaque automne, chaque hiver… Il y avait aussi le méchant Coronavirus, dans un album d’Astérix… Mais à présent il y a LE Coronavirus, le seul, l’unique, responsable de la plus incroyable pandémie que nous connaissions par son ampleur – le monde entier contaminé, jusqu’à l’Antarctique, alors que jusqu’alors les épidémies se limitaient à quelques pays, au pire un continent – et par sa rapidité : quelques mois, un an à peine…
- Couvre-feu : Fait partie d’une rhétorique guerrière, très à la mode en mars ; c’est l’obligation de s’enfermer à partir d’une certaine heure (en gros, selon les pays, entre 17 et 22 h). Mais on n’est pas obligé de peindre ses vitres en bleu. Et il n’y a pas de sirène – ni, d’ailleurs, d’abris.
- Covid-19 : Cov pour « coronavirus », « id » pour le mot anglais désignant la maladie, et « 19 » pour sa date d’apparition…. Et voilà un bien vilain vocable, peu parlant, pour cette nouvelle maladie… « grippe », « rougeole », « coqueluche » étaient plus poétiques !
- Distanciation sociale : « t’approche pas de moi, tu vas me contaminer ! » Selon les pays, varie entre 1 m et 4 m, voire 8 m.
- Eaux usées : le nouvel eldorado du repérage du virus. Nos pipi et caca seraient les indicateurs les plus fiables d’une montée de l’épidémie, bien avant que les cas augmentent à l’hôpital… Jamais on ne s’y était autant intéressé !
- Gestes-barrière : fait de se pousser quand quelqu’un s’approche, de refuser les bises et les poignées de main…
- Gel hydro-alcoolique : produit miracle qui tue non seulement le coronavirus, mais sans doute bien d’autres cochonneries. Au moins, les gens se lavent les mains…
- Héros du quotidien : soignants (voir plus bas), mais aussi caissières, éboueurs, policiers chargés de vérifier les attestations… Méritent nos applaudissements jusqu’à fin juin ; on a tendance à les oublier depuis.
- Hydroxychloroquine : poudre de Perlimpimpin censée guérir du covid-19, défendue bec et ongles par l’ineffable Professeur Raoult… Donald Trump, Jaïr Bolsonaro en furent d’ardents partisans. Aujourd’hui, il est avéré que ce médicament n’a aucune efficacité sur cette maladie-là (ce qui ne veut pas dire qu’il ne peut soigner autre chose, notamment ce pour quoi il a été conçu) ; et curieusement, Trump s’est fait administrer un tout autre traitement, et le Professeur Raoult est étrangement silencieux ces derniers temps…
- Masques : avant on portait le masque pour séduire… maintenant c’est pour se protéger.
- FFP2 : Personne n’en avait jamais entendu parler à l’exception des chirurgiens et des infirmières ; à présent c’est le caviar du masque !
- Masque chirurgical : moche, jetable (par terre, et par voie de conséquence dans les océans), cette protection d’aujourd’hui sera le cauchemar de demain.
- Orage de Cytokine : la cytokine, dont j’ignorais jusqu’à l’existence il y a peu, comme la plupart de nos contemporains, est une protéine qui bloque la duplication du virus dans l’organisme. Mais chez certains individus, le mécanisme s’emballe, et peut conduire à des formes très graves d’inflammation, qui peuvent même tuer le malade… C’est ce que l’on appelle « l’orage de cytokine », qui a causé de nombreux décès lors de la première vague, et que l’on sait désormais contrôler grâce à des corticoïdes.
- Pangolin : petit mammifère à peau écailleuse dont à peu près personne n’avait entendu parler, avant qu’une étude chinoise aussi péremptoire que biaisée en fasse le responsable de l’épidémie… avant que son innocence soit reconnue.
- R0 (prononcer « R zéro ») : nombre de reproduction R du virus, aussi appelé « taux de reproduction », c'est-à-dire le nombre moyen de cas secondaires provoqués par une seule personne infectée au cours de sa période contagieuse. Il faut alors distinguer :
- le nombre de reproduction du virus pendant la crise épidémique : le "R effectif" (celui que donnent les autorités sanitaires françaises depuis le mois de juin)
- du nombre de reproduction initial au début de l'épidémie qu'on appelait "R0".
- Soignants : avant l’épidémie, on parlait des infirmières, des aides-soignant(e)s, des médecins… Depuis, c’est devenu un terme générique, une sorte de masse indifférenciée, uniformément vêtue d’improbables combinaisons de papier, de masques, de lunettes, de gants… Cliché : « les Soignants sont les héros du quotidien ». On doit les applaudir tous les soirs à 20 h (même si certains ne veulent plus les voir dans les immeubles)… enfin, on les applaudissait. Deux confinements et deux couvre-feux plus tard, on commence à les avoir assez vus.
- Taux d’incidence : il correspond au nombre de tests positifs pour 100.000 habitants. Il est calculé de la manière suivante : (100000 * nombre de cas positif) / Population ; à la fin de l’épidémie, nous serons tous des scientifiques, et même des mathématiciens !
- Taux de létalité : chance que l’on a de mourir si l’on attrape la covid.
- Télétravail : voilà une notion qui existait bien avant l’épidémie, mais qui restait assez marginale ; c’était l’apanage de quelques cadres branchés, travaillant dans de vastes appartements silencieux sans avoir à se déplacer. Et puis, c’est devenu une panacée pour éviter les contacts trop rapprochés, gages de contamination, et un cauchemar pour bien des travailleurs moins privilégiés, surtout durant le premier confinement : comment jongler entre une connexion souvent capricieuse, un matériel pas toujours adapté, la présence d’un conjoint lui aussi en télétravail, et des enfants à qui il fallait en plus faire la classe… Pour d’autres, ce fut un long tunnel de solitude, dans des chambres d’étudiant de 9 m2 ou de minuscules studios…
- Test : l’alpha et l’oméga de la politique de prévention. Voir aussi « dépistage » ;
- Test antigénique : se fait au moyen d’un écouvillon dans les fosses nasales – pénible, voire douloureux. Résultat en 20 à 30 minutes… mais assez peu fiable. Autrement dit : si vous êtes positif, pas de chance. Si vous êtes négatif, pas de chance non plus : vous avez 30 % de risque d’être un « faux négatif »…
- Test PCR : le même que précédemment, mais l’analyse, qui prend plus de temps, est aussi plus sûre. Mais le résultat prend entre quelques heures… et neuf jours, autrement dit, quand il ne présente plus aucun intérêt.
- Test salivaire : beaucoup moins pénible que les deux autres, mais (pour cette raison ?) presque jamais utilisé.
- Vaccins : ils sont enfin arrivés ! Du moins le premier, celui de Pfizer-Biontech, à ARN messager. En trois jours, la France a vacciné… 70 personnes. Un peu plus de 23 personnes par jour. À ce rythme, pour vacciner environ 45 millions de Français volontaires, il nous faudra… 1 928 574 jours, soit 5283 ans… On n’est pas sorti de l’épidémie !
- Vaccin (diplomatie du...) : comment Poutine s'achète une virginité en vendant à l'Europe son Spoutnik, d'ailleurs sans doute valable, pour faire oublier les opposants emprisonnés, l'Ukraine en guerre, et autres joyeusetés... Pour les Chinois, c'est plus compliqué : ils n'ont pas l'air pressés de soumettre leur propre vaccins aux agences occidentales...
- Vaccinodrome : très grande salle (gymnase, palais des Congrès…) où l’on peut vacciner en masse. Comme en 2009 la chose avait échoué (la France était épargnée par le virus H1N1), il n’était pas question d’en faire cette fois-ci. Sauf que… Le scandale d’une vaccination ridiculement lente ayant éclaté, finalement les vaccinodromes deviennent possibles… voire souhaitables…
- Variant anglais : le cinéma avait rendu célèbre le « Patient anglais » ; maintenant nous avons un variant du coronavirus, pas plus grave, mais 40 à 70 % plus contagieux. Apparemment il ne rendrait pas le vaccin inopérant… mais il a conduit Boris Johnson à reconfiner le Royaume-Uni, et l’épidémie là-bas est hors de contrôle…
- VOC 2020 : autre nom du variant anglais. Décidément, l’épidémie a été bien pauvre en dénominations poétiques…