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Le blog d Artemisia L
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Sylvère Derouet III - La jeune fille des Lucs - chapitre II

Sylvère Derouet III - La jeune fille des Lucs - chapitre II

SILVERE DEROUET

III –

LA JEUNE FILLE DES LUCS

CHAPITRE 2
Passer la Loire !

Dès la pique de jour, ils se remirent en route, et arrivèrent bientôt au village d' Asnière sur Vègre. C'était un tout petit bourg, fort animé cependant car il y avait un relais de poste.

"Allons-y, dit Silvère. Si l'on nous interroge, nous dirons que notre voiture a eu un accident non loin d'ici, et que nous allons à Sablé, dans ma famille."

Il fallait longer l'écurie pour gagner la salle ; en passant, Silvère y jeta et coup d'œil, et constata qu'il y avait là deux chevaux.

Lorsqu'ils entrèrent dans la salle, un feu crépitait dans la vaste cheminée. Marie, transie, s'approcha, tandis que Silvère interpellait le maître des lieux.

"Holà, citoyen, peux-tu nous servir à manger ? Après quoi, nous prendrons une chambre, si tu en as de libre, et une grande quantité d'eau chaude, pour nous laver...

– D'où venez-vous donc, citoyens, fit l'autre, méfiant.

– De Sillé... et nous allons à Sablé. Mais notre voiture a versé à une lieue d'ici, et nous avons dû faire route à pied...

– Hum ! fit l'homme. A une lieue... Admettons. Avez-vous de quoi payer ?"

Silvère mit sur la table une poignée d'assignats, ce qui parut un peu calmer la défiance de l'autre.

– Faites excuse, dit-il. Mais il se passe de drôles de choses 1... Les Brigands sont passés pas très loin d'ici en allant au Mans... et le pays est infesté...

– Oui, je sais... Quelle calamité ! Mais nous avons de la famille au Mans, et nous sommes sans nouvelles depuis longtemps... Vous ne savez pas ce qui s'y passe ?

– Comment, fit le tabellion en fronçant les sourcils, vous ignorez...

– Je sais que la ville a été prise par les Brigands et reprise par les nôtres, coupa Silvère. Je sais aussi que la plupart des bons républicains avaient eu le temps de quitter le Mans avant la bataille, et je suppose que c'est le cas de nos parents. Mais depuis ? La situation a dû redevenir calme...

– Oui et non. Les Vendéens n'ont pas tous pu fuir... Une belle chasse à l'homme pendant quelques jours, au Mans et alentours ! On a fusillé à tour de bras, mais il en sortait de partout ! Quelle engeance ! Enfin, il paraîtrait qu'on en est venu à bout... On les a enterrés par charretées entières sur les quinconces des Jacobins...

– En somme, la paix est revenue en ville, interrompit Silvère, qui voyait Marie devenir toute pâle. Tous ceux qui étaient partis ont dû regagner leurs maisons...

– Et ils les ont trouvées dans un drôle d'état... Pillées, ravagées... Mais ce n'est pas tout ! Par dessus le marché, ces monstres ont laissé là un drôle de cadeau...

– Un cadeau ?

– Le choléra ! Ils l'ont apporté avec eux... et ils l'ont laissé ! Il paraît qu'il y a des milliers de malades, en ville... Il en meurt je ne sais combien tous les jours...C'est pour ça que je vous ai demandé tout à l'heure d'où vous veniez. Si vous étiez arrivés du Mans, je vous aurais dit d'aller ailleurs... Je ne tiens pas à perdre toute ma clientèle."

Ce fut au tout de Silvère de devenir blême. Élisa et sa mère étaient-elles venues se jeter dans ce piège, croyant la ville libérée ? Qu'allait-il advenir d'elles, et du petit ? Comment avoir des nouvelles ? Comment savoir ?

Un élan irrésistible le poussait à retourner au Mans, pour savoir, pour tenter de les secourir. Mais il y avait Marie, complètement isolée dans un pays hostile, et qui serait irrémédiablement condamnée s'il l'abandonnait. Une fois de plus, il ragea contre lui-même : dans quel guêpier s'était-il fourré !...

Dans l'immédiat, il fallait reprendre des forces. On leur servit une énorme omelette au lard accompagnée d'un petit vin de pays assez aigre, mais qui les réchauffa. Tout en mangeant, ils écoutaient les conversations de quelques voyageurs arrivés entre temps. On ne parlait que des derniers événements du Mans.

"Il paraît qu'ils ont même pillé la maison du maire...

– Et même, ajouta quelqu'un avec des rires, vous savez quoi ? Ils lui ont pris... sa brosse à dents ! Quand il est revenu, le pauvre Pottier courait partout en réclamant sa brosse à dents !

– Quelle idée, aussi, de se servir d'un instrument aussi barbare..."

Peu après, on leur montra leur chambre – une minuscule mansarde sous les toits, passablement crasseuse, mais au moins les draps étaient propres, et on leur monta de l'eau, et deux grands seaux.

Pendant que Marie faisait sa toilette, Silvère, qui était sorti pour ne pas l'embarrasser, alla traîner du côté des écuries. Il y avait à présent quatre chevaux attachés là. A ce moment, l'aubergiste entra, appelant son garçon d'écurie.

"Dis-donc, mon gars... J'ai ici deux particuliers un peu bizarres, un jeune gars et une femme... Ces deux-là, je ne les sens pas, ils cachent quelque chose. Tu finis de soigner les chevaux, puis tu en prends un, et tu vas d'une traite quérir la garde nationale à Brûlon...

– Et s'ils n'ont rien fait ?

– Ça m'étonnerait... Je te dis que je ne les sens pas. Et je ne me trompe pas souvent. D'ailleurs, la femme ne porte pas de cocarde ! Alors, tu fais ce que je te dis... Mais tu attends un moment, qu'ils ne se méfient pas... Je te le dirai."

Le garçon acquiesça en maugréant. Ni l'un ni l'autre n'avait aperçu Silvère.

Il se coula jusqu'à sa chambre. Il trouva Marie, les cheveux dénoués et mouillés, en train de les démêler. Il s'arrêta un instant, admirant cette masse noire, qui lui descendait jusqu'à la taille... Mais l'heure n'était pas à la rêverie. Il la mit rapidement au courant.

" Nous allons descendre quelques instant dans la salle, dit-il ; vous vous sécherez les cheveux au feu... Puis, nous dirons haut et fort que nous allons dormir. Il y a gros à parier qu'à ce moment, le garçon d'écurie partira à bride abattue vers Brûlon... Nous tâcherons de descendre par la fenêtre, en nous aidant des draps... Il restera trois chevaux à l'écurie. Nous les emmènerons tous les trois, et nous en lâcherons un plus loin... Le temps que l'alerte soit donnée, et que la garde arrive de Brûlon, nous aurons le temps de faire un peu de route...

– Mais ils savent que nous allons à Sablé...

– D'ici, c'est le plus direct, nous n'avons pas le choix... Ensuite, il faudra essayer de gagner Angers..."

Ainsi fut fait. Marie descendit près de la cheminée, et attendit. Au bout d'un moment, elle fit mine de somnoler ; Silvère lui toucha le bras.

"La route t'a fatiguée, dit-il. Si nous allions nous reposer un moment ? Nous avons bien le temps !"

Et ils s'éclipsèrent.

"Il vaut mieux nous dire "tu" en public, lui souffla-t-il en montant l'escalier. Cela attirera moins l'attention. Et il faudra te trouver une cocarde..."

Il ferma bruyamment la porte de la chambre, attendit un instant, et ouvrit silencieusement la fenêtre. Elle donnait sur les arrières, dans une grande cour noire. Il faudrait sortir par là, longer les bâtiments, entrer subrepticement dans l'écurie... Il essaya les draps : ils étaient solides, mais sans doute pas tout à fait assez longs. Il faudrait sauter...

"– Ça ira ? fit-il à Marie.

– Quel mot ! ironisa-t-elle. Oui, ça ira..."

Il passa le premier ; elle le suivit avec une souplesse et une audace inattendues. Ils pénétrèrent sans bruit dans l'écurie ; seller les chevaux fut l'affaire d'un instant. Il aida la jeune fille, gênée par ses jupes, à se mettre en selle, et ils partirent à bride abattue, entraînant avec eux le troisième animal.

Derrière eux, ils entendirent des cris, des exclamations... mais ils filaient déjà sur la route de Solesmes. On apercevait la haute silhouette de l'abbaye, qui dominait la plaine et la rivière.

"Nous allons couper à travers champs, cria Silvère tout en galopant. Nous rattraperons la grand-route un peu plus loin... Il vaut mieux éviter Sablé, dès fois qu'ils auraient pu prévenir..."

A un croisement, ils chassèrent le troisième cheval, qui, après avoir fait mine de les suivre, effrayé par leurs cris et leurs grands gestes, finit par se sauver au galop.

Ils chevauchèrent un moment côte à côte, en trottant. On ne semblait pas les avoir poursuivis, ou du moins, ils avaient une avance suffisante pour ne pas craindre d'être tout de suite rattrapés.

"Quelle habileté ! fit Silvère. J'ai admiré tout à l'heure comment tu as su descendre de la fenêtre... Serais-tu une habituée des évasions ?

– Je croyais qu'on ne se tutoyait qu'en public, pour donner le change ? répondit-elle avec une certaine hauteur.

– Il vaut mieux en prendre l'habitude, répondit Silvère avec humeur.Et puis, ce vouvoiement me dérange.Le tutoiement est tout aussi respectueux, et plus égalitaire... Mais tu n'as pas répondu à ma question.

– Quand j'étais petite, dit-elle après un silence, je jouais beaucoup avec mon frère... Nous nous amusions dans les greniers de la métairie, nous faisions semblant d'être prisonniers... J'ai appris à me sauver avec une corde !

– Et on te laissait jouer à ces jeux de garçons ?

– Je ne demandais pas la permission ! Dès que je le pouvais, je m'échappais, j'allais retrouver mon frère... Évidemment, le soir, nous étions punis, mais cela ne faisait rien, on recommençait !

– Ah ! oui... Et quand ton frère est parti faire la guerre, tu l'as suivi aussi...

– Je savais bien que ce n'était plus un jeu... Mais rester chez nous, au coin du feu, à attendre... à trembler chaque fois qu'on frappe à la porte, qu'on apporte une lettre... Ne rien savoir... Tu imagines quelle torture cela peut être, pour une femme ? Ma mère, elle, est restée... Moi, je n'aurais pas pu. Passer toutes mes journées à broder, à jouer du clavecin, à faire semblant, sans savoir si mon père, mon frère étaient morts ou vivants...

– Tu as préféré les suivre ? Malgré le froid, la faim, les combats...

– Pour moi, c'était moins terrible que d'attendre... Au moins je les voyais, j'étais avec eux, je connaissais leur sort... C'était du moins ce que j'espérais...

– Pourquoi ? Ça ne s'est pas passé comme tu l'attendais ?

– Au passage de la Loire... Mon frère et moi, nous sommes passés ensemble, mais nous avons perdu mon père de vue... Et pendant trois jours, trois jours ! Nous l'avons cherché partout, dans toute l'armée... Personne ne savait ce qu'il était devenu, on nous donnait des nouvelles contradictoires... Exactement ce que j'avais toujours redouté !

– Et tu n'as jamais su...

– Si... au bout de trois jours, nous avons enfin trouvé quelqu'un qui savait.

– Et alors ?

– Il s'était noyé..."

Marie baissait la tête, pour cacher ses larmes. Silvère se pencha vers elle.

"Je suis désolé", dit-il doucement. Mais elle, sans répondre, mit son cheval au galop. Il la rattrapa aussitôt, et ils galopèrent un moment, sans parler.

Bientôt, ils aperçurent au loin la silhouette imposante du château de Durtal. Le soir tombait, ils ne pourraient aller beaucoup plus loin.

Au pied du château, désormais vide et en ruines, se tenait une petite auberge. Lorsqu'ils entrèrent, il n'y avait pas grand-monde. Mais le feu rougeoyait dans la cheminée, et l'aubergiste paraissait aimable, et surtout sans grande méfiance.

"Holà ! fit Silvère. Serait-il possible de passer la nuit, nous et nos chevaux ?

– Certes, certes, fit l'homme. J'ai des chambres libres, il n'y a plus grand-monde... Depuis que les Brigands sont passés par ici, le pays est mort, il n'y a pour ainsi dire plus de commerce... Et toutes les routes sont surveillées...

– Nous n'avons pourtant vu personne depuis Sablé...

– Vous avez eu de la chance ! Ici, c'est sans arrêt qu'on nous demande nos papiers...

– Bah ! fit Silvère. De toutes façons, nous n'avons rien à craindre.

– Je le crois, fit l'aubergiste. Mais où allez-vous donc ? Si vous venez de Sablé, vous n'allez donc pas vers le Nord...

– Mais... dit Silvère, nous rentrons chez nous, à Angers... Nous nous trouvions près du Mans quand les Brigands sont arrivés, alors nous avons fui vers Chartres... Et maintenant qu'ils sont partis, nous essayons de retourner dans notre maison...

– A Angers ? Mais comment voulez-vous ?... Tous les ponts sont coupés ? Vous n'avez donc pas vu, en arrivant ?

– Quoi donc ?

– Le pont, à deux pas d'ici... Il a sauté, quand les Vendéens sont venus, la première fois, et on ne l'a pas rebâti depuis... C'est pour ça que les Brigands ont dû faire un détour jusqu'à la Flèche, lorsqu'ils ont essayé de repasser par ici...

– Et il n'y a plus moyen de passer la rivière ?

– Si peut-être... beaucoup plus loin... Mais il vous faudrait un guide... Mais mangez donc un morceau. Nous parlerons de tout cela plus tard.

– Cet aubergiste est un vieux filou, glissa Silvère à Marie. Il va nous proposer de nous faire passer le Loir... Mais il faudrait de l'argent, et nous n'en avons plus...

– Ce n'est pas un problème, fit Marie en souriant. Tout à l'heure, quand nous avons fait boire les chevaux, j'ai regardé dans les fontes du mien... et sous la selle...

– Et alors ?

– J'y ai trouvé un joli paquet d'assignats... Quelqu'un l'avait caché là, pour ne pas tout montrer à l'auberge...

– C'est merveilleux ! fit Silvère. J'avais eu la même idée... Mais moi, je n'ai rien trouvé, ni arme, ni argent... Il vaut mieux cependant éviter qu'il le devine. Laisse-moi faire."

Mais déjà, l'homme revenait, avec une bouteille. Il s'assit près d'eux, et trinqua sans façon.

Un mien cousin est pêcheur sur le Loir, dit-il ; il peut vous cacher au fond de sa barque, et vous faire passer la rivière...

– Nous n'avons pas beaucoup d'argent, dit Silvère. Mais nous pouvons te laisser nos chevaux...

– Et qu'en ferais-je ?

– Hé ! vends-les... Ce sont de bonnes bêtes, pas trop fatiguées... Cela se fait rare, ces temps-ci...

– Pour s–r ! Mais je risque surtout de me les faire réquisitionner...

– Bah ! Tu es bien trop malin... Tu trouveras bien un voyageur pressé, qui te les paiera à prix d'or..."

L'homme réfléchit un moment. Manifestement, ces deux-là n'avaient plus grand-chose, une fois payés la chambre et le dîner. On ne tond pas un œuf. Alors, les chevaux... C'était autant de pris.

"Tope-là ! fit-il. Demain, avant l'aube, je vous réveillerai..."

S'ils pouvaient go–ter ici une relative sécurité – du moins tant que la garde nationale ne viendrait pas inspecter les lieux – en revanche la propreté était plus que douteuse. Les murs suintaient d'humidité ; les draps n'avaient pas été changés depuis des semaines, et Marie, qui avait eu toutes les peines du monde à obtenir un peu d'eau chaude pour sa toilette, refusa tout net d'y toucher. Finalement, elle dormit sur l'unique fauteuil à demi-défoncé, enroulée dans une couverture, tandis que Silvère s'étendit par terre, lové dans son manteau.

"Ainsi, nous échapperons au moins aux punaises...

– Et aux puces !"

Le lendemain, comme promis, ils furent réveillés par des coups sourds contre la porte.

"Il va falloir marcher un peu... murmura l'hôtelier.

– Qu'à cela ne tienne ! fit Marie."

Tous trois longèrent un moment la rivière. Il faisait un froid coupant, et le brouillard rendait toute forme indistincte.

"Vous avez de la chance. On ne vous verra pas..."

Ils arrivèrent enfin à une cabane de pêcheur, complètement défoncée. L'homme siffla, on lui répondit, et une silhouette surgit de la brume.

"Mon cousin..." fit l'aubergiste. Et, après un signe de connivence, il s'éclipsa.

Sans un mot, l'homme se dirigea vers une vieille barque. Il restait de l'eau au fond ; Marie frissonna. Il fallut pourtant s'allonger sur le fond ; et l'on jeta sur eux une couverture. Ils sentirent la barque glisser dans l'eau, tanguer légèrement.

La navigation leur parut durer des heures ; l'homme maniait ses rames en silence. Soudain, ils sentirent un léger choc : ils venaient d'aborder. L'aube pointait à peine ; trempés, Silvère et Marie grelottaient de froid.

L'homme les fit lever, leur désigna un bois, tout près, et leur fit signe de s'y réfugier. Et, toujours sans un mot, il fit tourner sa barque et repartit.

"Où sommes-nous ? dit Marie.

– Je n'en ai pas la moindre idée. Tout ce que je sais, c'est que nous avons passé le Loir. Il faut traverser cette forêt, en essayant de ne pas nous perdre... Mais il vaudrait mieux attendre le jour. Ensuite, nous essaierons de trouver notre route.

– Si nous pouvions faire du feu...

– Avec quoi ? tout est mouillé, maintenant... Non, il vaut mieux marcher, cela nous réchauffera..."

Mais Marie semblait hésiter, vaciller. Elle tremblait de tous ses membres ; cette nuit glacée, sans lune, ce brouillard poisseux, cette forêt inconnue l'impressionnaient. Il la serra contre lui ; elle sursauta faiblement, se raidit, puis se laissa faire, comme résignée.

Tandis qu'ils avançaient ainsi, péniblement, Silvère se demandait ce qu'il éprouvait réellement. Il ne pouvait que ha‹r tout ce qu'elle était, tout ce qu'elle représentait. Ses idées politiques, ses croyances !... S'il avait eu affaire à un homme, jamais il n'aurait pu avoir la moindre sympathie. Des fanatiques !... Et pourtant... Il ne pouvait pas lui appliquer ces mots-là. Si désarmée, si seule ! Un curieux mélange de courage et de faiblesse... Allons ! Il ne fallait pas se laisser attendrir. Il était homme d'honneur, voilà tout, et l'on n'abandonne pas une femme dans la détresse. Lui montrer à tout prix, à elle, si imbue de ses valeurs aristocratiques, que les Républicains aussi savent ce qu'est l'honneur et le panache...

Et elle, que pensait-elle ? Qu'éprouvait-elle ? Elle acceptait sa présence – bien obligée ! -, elle laissait parfois échapper quelques confidences, mais comme on se parle à soi-même, pour tromper l'angoisse... Mais peut-être le ha‹ssait-elle, après tout...

Il en était là de ses réflexions lorsqu'il avisa une cabane de b–cherons, juste devant eux. Il frappa. Personne ne répondit. Ils entrèrent...

Il régnait là une douce chaleur ; un feu finissait de s'éteindre.

"Il doit y avoir quelqu'un, dit Marie.

– Oui, s–rement un b–cheron. Il vient de partir. Avec un peu de chance..."

Il n'avait pas fini de parler que la porte se rouvrit brutalement.

– Or çà, qui est là ?" rugit une voix gutturale.

Silvère se leva brusquement, cherchant déjà à saisir son couteau, et fit face à une sorte de géant. Celui-ci, comprenant le geste, allait frapper, mais il s'arrêta net en apercevant Marie. Médusé, il les regarda tour à tour/

"Ah ! ben... fit-il, j'croyais qu'c'étaient des voleurs...

– Nous n'avons rien volé, répliqua Silvère calmement. Nous sommes des voyageurs égarés... Comment s'appelle cette forêt ?

– Cette forêt ? fit l'autre, ahuri. Ben, c'est la forêt de Chambiers... En continuant par là (il indiqua une direction, quelque part dans le brouillard), vous arriverez au bourg de Marcé... Qu'est-ce que vous cherchez ?

– La direction d'Angers.

– La grand-route, quoi ? Ben, vous y serez presque !"

Finalement, l'homme paraissait plutôt de bonne composition. Un être un peu frustre, mais discret, qui ne posait pas de question. Avant qu'ils aient eu le temps de réagir, il avait ranimé le feu, fait réchauffé une marmite de soupe, et leur tendait déjà un quignon de pain et du vin.

"Je sais ce que c'est que le froid dans les bois... La jeune dame doit être gelée jusqu'aux os !"

Il resta un moment avec eux, puis :

"J'm'en vais au labeur. Restez tant que vous voudrez... Refermez seulement bien en partant. Des fois qu'y aurait de vrais voleurs... C'est pas qu'y a grand-chose à voler..."

Et il s'en alla.

"Il va falloir repartir..." murmura Marie d'une voix lasse. Elle restait blottie près du feu, immobile. Ses mains tremblaient, et ses yeux semblaient br–ler de fièvre.

"Tu es malade ? s'enquit Silvère, inquiet.

– J'ai eu froid, tout à l'heure, dans la barque... Je n'arrive pas à me réchauffer... Je ne sais pas si je vais pouvoir marcher...

– Le b–cheron a dit qu'il y avait un bourg, tout près d'ici... Nous essaierons de trouver une charrette... Peux-tu aller jusque là ? Préfères-tu te reposer un peu ?

– Non, il vaut mieux y aller tout de suite... Plus tard, je ne sais pas si j'aurai le courage..."

L'air glacé la saisit lorsqu'elle ouvrit la porte. Elle eut un mouvement de recul, cherchant instinctivement un appui. Silvère la saisit de nouveau par la taille pour la soutenir ; cette fois, elle n'eut pas un geste de révolte. Ils avancèrent ainsi péniblement, lui la portant presque, jusqu'au village qui leur avait été indiqué.

On voyait là des traces de la guerre. Deux ou trois maisons br–lées dressaient encore leur charpente noircie contre le ciel gris ; d'autres portaient des traces de mitraille, des impacts de balle.

"Il a dû y avoir une échauffourée par ici..." fit Silvère.

Marie regardait autour d'elle d'un air étonné.

"Mais je sais où nous sommes ! dit-elle. Nous sommes passés par ici... en venant d'Angers... Je reconnais ce village ! Oui, il y a eu un très bref combat... Une poignée de Bleus qui n'ont pas résisté longtemps... Mais il n'y avait personne ici... Tout le monde avait fui... Ce devait être au tout début du mois... Le premier ou le deux décembre...

– Le onze frimaire, corrigea Silvère avec un sourire.

– Oh ! votre maudit calendrier républicain ! Je ne m'y ferai jamais !...

– Frimaire me semble plutôt bien nommé, en l'occurrence... En tous cas, pas un mot de ton premier passage ici !"

Marie haussa les épaules sans répondre.

Dans le village, il n'y avait guère d'activité. On entendait cependant le marteau d'un forgeron. Ils s'y dirigèrent au bruit.

Il régnait une chaleur d'enfer dans l'échoppe. L'homme, qui réparait des outils, leva avec étonnement les yeux de son enclume, et les considéra avec méfiance.

"Nous sommes des voyageurs égarés, dit Silvère. Nous voudrions trouver des chevaux, ou une voiture... Nous allons à Angers, et ma femme est malade...

– Des chevaux ? Une voiture ? Et où voulez-vous trouver ça ici ? Ce que les Brigands ne nous ont pas pillé, les soldats nous l'ont réquisitionné !

– Il ne reste vraiment rien ? Même pas une charrette ? En payant..."

Silvère vit, avec satisfaction, une lueur cupide s'allumer dans les yeux de l'homme. Celui-ci réfléchit.

"Hum... Il reste bien la carriole du père Boudu... Le vieux renard a fui avec quand les Brigands sont arrivés, et bien s–r, il est revenu... L'essieu est cassé, mais je pourrais vous le rafistoler...

– Fort bien ! Mais il faut aussi un cheval...

– Je connais un vieux, vieux canasson... Un cheval de trait dont personne n'a voulu parce qu'il n'avançait pas... Y'a pas vraiment d'autre choix !

– Hé bien soit, fit Silvère, résigné. Quel est le prix ?..."

Le forgeron énonça une somme qui parut exorbitante au jeune homme ; mais Marie, qui titubait de fatigue, le regardait avec des yeux suppliants, et il n'apercevait pas d'autres solutions. Il fallut en passer par là. L'homme promit de leur fournir l'attelage pour le lendemain matin.

"En attendant, où pouvons-nous trouver un gîte ?" demanda Silvère.

On leur indiqua une ferme qui parfois, à l'occasion, tenait lieu d'auberge. Il n'y avait là que des paillasses, mais propres et fraîches. Marie, à bout de forces et grelottante de fièvre, parut aussitôt s'endormir, tandis que Silvère, inquiet, la contemplait.

"Si cela s'agravait, songeait-il, où trouver un médecin ? Comment la soigner ? Et surtout, comment la ramener chez elle ?"

Le lendemain, ses craintes se dissipèrent. Marie semblait avoir retrouvé en partie ses forces et son courage ; et le forgeron était fidèle à ses engagements, leur amenant une carriole assez misérable, attelée d'un vieux percheron poussif.

Lorsqu'il eut payé le paysan-aubergiste et l'obligeant forgeron, Silvère dut constater que leur fortune commençait sérieusement à s'amenuiser. Il se souvint alors à propos que son père lui avait souvent parlé d'un de ses amis, Albert Besnard, un banquier établi à Angers. Il fallait co–te que co–te entrer dans cette ville, trouver le sieur Besnard, s'il exerçait encore, et, au nom de son père, lui emprunter le plus que l'on pourrait.

Les quatre ou cinq lieues qui les séparaient d'Angers leur parurent interminables. Le cheval, effectivement, n'avançait qu'avec une extrême lenteur. Marie, silencieuse, regardait autour d'elle, cherchant les traces du passage des siens trois semaines auparavant. Au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient de la ville, celles-ci devenaient plus nombreuses : charrettes abandonnées, l'essieu brisé, bagages éventrés qui traînaient dans les fossés... Ils virent même un canon, dont l'aff–t était cassé, et qui gisait là, sans que personne songeât à le récupérer.

Ils furent arrêtés plusieurs fois, par des patrouilles ; mais Silvère, qui avait emmené son passeport, n'eut aucun mal à faire passer Marie pour sa fiancée, et ils eurent la chance de s'en tirer à chaque fois avec quelques plaisanteries gauloises.

Ils arrivèrent à Angers vers le soir. Les hautes murailles de la ville se dressaient, menaçantes, devant eux. Ils s'arrêtèrent à quelque distance. Marie frissonnait.

"Si seulement nous avions pu passer, soupira-t-elle, si seulement nous n'avions pas buté là... Nous aurions repassé la Loire, jamais nous ne serions venus nous perdre au Mans...

– On ne refait pas l'histoire, répondit Silvère, un peu rudement. A présent, les choses sont ce qu'elles sont, il faut en prendre notre parti." Et il ajouta, plus doucement : "ici, je pense trouver de l'argent, et de l'aide. Mais je dois d'abord voir si nous pouvons entrer..."

Il se coula dans l'ombre montante jusqu'à la porte Saint-Michel. Celle-ci, attaquée durement par La Rochejaquelein lors du siège, était à demi effondrée ; on avait colmaté la brèche avec des matériaux de fortune ; mais elle était gardée par un fort détachement de soldats, qui manifestement inspectaient chaque véhicule avec la dernière rigueur, et ne laissaient rien passer. Echaudés par la mésaventure de la Flèche#, ils semblaient redouter une surprise. Il ne fallait pas songer à faire entrer Marie sans passeport en règle. mieux valait rebrousser chemin, trouver un hébergement s–r pour la jeune fille, tandis que lui-même irait aux nouvelles...

Ils se firent rabrouer brutalement dans plusieurs fermes ; les habitants craignaient qui un retour des Brigands, qui les perquisitions de la Garde Nationale, et ne voulaient prendre aucun risque en recevant sous leur toit des étrangers. Au moment où, exténués, ils commençaient à douter de pouvoir réussir, ils finirent par trouver une famille très pauvre, mais plus accueillante, que les derniers assignats de Silvère achevèrent de convaincre. La maison, une masure plutôt, ne comprenait qu'une pièce et une alcôve ; on leur offrit de dormir dans la paille, dans le grenier de l'étable qui jouxtait la salle. Le voisinage des bêtes n'était guère commode, mais du moins répandait une certaine chaleur. Comme la nuit était tombée, Silvère remit au lendemain sa visite à Albert Besnard.

Dès l'aube, il se mit en route. Marie le regarda partir avec des yeux pleins d'angoisse, mais elle ne dit rien.

"Elle craint sans doute que je l'abandonne ici... ou que je ne puisse pas la rejoindre..."

Il se demanda un instant si la jeune fille, qui avait toutes les raisons de craindre pour elle, avait aussi un peu peur pour lui. Mais elle ne laissait rien paraître, et demeurait énigmatique.

A la porte Saint-Michel, il dut répondre à un assez long interrogatoire avant de pouvoir pénétrer en ville. Il se garda bien de citer le nom d'Albert Besnard : le vieil homme pouvait fort bien avoir été arrêté comme suspect, emprisonné... En ces temps troublés, tout pouvait arriver.

Le banquier habitait place de la Laiterie, de l'autre côté de la Maine. En cette heure matinale, les rues commençaient à peine de s'animer, mais les premiers crieurs de journaux faisaient leur apparition. Silvère, qui était sans nouvelles depuis son départ du Mans, leur prêta une oreille attentive.

Il apprit ainsi ce qu'il était advenu des restes de "l'Armée Catholique et Royale" : celle-ci avait continué sa course en direction de Laval, poursuivie par Westermann, et s'était retrouvée, deux jours auparavant à Ancenis. Les deux principaux chefs, La Rochejaquelein et Stofflet, avaient réussi à passer le fleuve avec quelques centaines d'hommes, afin de créer une tête de pont ; mais, pris sous le feu d'une artillerie nourrie, ils n'avaient pu ni s'établir sur la rive droite du fleuve, ni repasser l'eau pour rejoindre les leurs. Un millier d'hommes seulement avaient pu franchir la Loire, mais ils se trouvaient coupés du gros de l'armée...

"Cette fois, les Brigands sont fichus, songea Silvère. Sans le fameux "Monsieur Henri", ils vont céder à la première panique..."

Curieusement, il n'en éprouvait pas la joie escomptée. Les journaux parlaient d'une poursuite impitoyable ; Westermann, à mesure qu'il avançait, faisait exécuter les blessés qu'il pouvait rencontrer ; femmes et enfants n'étaient pas épargnés.

"Cette cruauté est sans doute nécessaire, songeait Silvère avec mélancolie. La pitié n'est pas un sentiment révolutionnaire..."

Mais il ne parvenait pas à s'en convaincre ; sa sensibilité native répugnait à de telles solutions... Ses pensées le ramenèrent tout naturellement vers Marie, à qui il faudrait apprendre tout cela. Il revit, en un éclair, le visage du jeune homme blessé – son frère. Qu'était-il devenu, celui-là ? S'il avait survécu à ses blessures... peut-être avait-il franchi la Loire avec La Rochejaquelein. Marie lui avait laissé entendre, une fois, qu'il en était un ami proche. Sinon... sa sœur avait fort peu de chances de le revoir jamais.

Il acheta un journal, chercha les nouvelles locales. Il apprit que deux commissions militaires siégeaient en permanence dans la forteresse pour juger les Vendéens faits prisonniers pendant le siège, ou attrapés dans les environs immédiats depuis ; que l'on fusillait au port de l'Ancre sans désemparer... Une chasse aux suspects systématique se développait en ville. Le climat, décidément, n'était pas bon. Il ne faudrait pas s'attarder par ici.

Il se rendit en flânant vers la place de la Laiterie. Les Besnard habitaient un bel hôtel particulier depuis plusieurs générations. Mine de rien, il observa la façade, les alentours. Pas de gardes, pas de scellés visibles : la famille semblait avoir été épargnée par la suspicion générale. Il se décida à se présenter.

Il fut tout de suite introduit auprès d'Albert Besnard, un beau vieil homme aux cheveux blancs, plus âgé que son père. Il ignorait le décès de son vieil ami, et en parut peiné. Silvère préféra ne pas tout lui révéler de ses aventures ; il lui raconta le minimum, expliquant qu'il se trouvait à court d'argent et dans l'impossibilité de regagner le Mans, d'où il avait été chassé par les Vendéens.

Le vieil homme hocha la tête en souriant :

"Tu as toujours été un enfant terrible... Je ne sais ce que tu vas inventer encore, mais je veux bien t'aider, en souvenir de Jean...

– Je vous le rendrai dès que je le pourrai", assura Silvère.

L'autre eut un sourire sceptique. "As-tu besoin de recommandation ? Par les temps qui courent, cela peut toujours être utile... J'ai quelque crédit dans cette ville auprès des autorités, à qui j'ai rendus de bons services..."

Silvère hésita, mais le banquier lui inspirait confiance.

"Serait-il possible d'obtenir un certificat pour une jeune fille ? C'est une amie, bonne républicaine, mais qui a perdu ses papiers et se trouve donc dans une situation dramatique...

– En somme, fit son interlocuteur en le scrutant du regard, tu me demandes de faire un faux ?"

Silvère ne répondit rien, et attendit. Le vieux Besnard semblait réfléchir. Enfin il soupira :

"Cela me semble possible, dit-il. Comment s'appelle la jeune personne ?

– Émeline Métivier, dit spontanément Silvère. Elle a dix-neuf ans, et elle est née au Mans...

– Dix-neuf ans ? C'est dommage... Si nous avions pu la rajeunir de deux ans, en cas de malheur, elle eût du moins pu échapper à l'exécution... Hé bien soit ! C'est folie de ma part de te faire confiance... Mais tu es le fils de Jean, et je vois dans tes yeux la même droiture et la même... humanité que dans les siens. Vois-tu, petit, l'humanité, c'est peut-être ce qui nous manque le plus en ce moment... Et je crains bien que nous n'ayons, un jour, à le payer très cher...

– Comment cela ?

– Hier, dit le vieil homme en baissant la voix, il y a encore eu des fusillades, au port de l'Ancre... des Brigands... Parmi eux, il y avait, dit-on, des gosses de quatorze ans. Comme si on ne pouvait pas, avec beaucoup d'humanité et un enseignement adéquat, éduquer un enfant de quatorze ans ! Oui... Il eût mieux valu donner à ce gamin une leçon de clémence qu'il n'eût jamais oubliée... et en faire un bon soldat de la République ! Au lieu de cela, nous dressons contre nous des ennemis irréconciliables..."

Ils dînèrent ensemble. Le banquier, qui vivait seul depuis la mort de sa femme et le mariage de ses deux filles, était heureux de pouvoir bavarder. Il fut peiné d'apprendre qu'Élisa et sa mère avaient dû fuir, et que Silvère ignorait ce qu'elles étaient devenues, ainsi que l'enfant dont il ignorait l'existence. Il promit de chercher à s'informer aussitôt que possible, et de donner aux deux femmes des nouvelles de leur fils et de leur frère.

Le lendemain, il fallut attendre l'après-midi avant que le banquier reparût, mais il avait en sa possession, outre une copieuse somme d'argent qu'il remit à Silvère, les papiers demandés : pour lui, des certificats de civisme en bonne et due forme, signés du président de la commission militaire en personne (comment diable s'y est-il pris, se demanda Silvère), et pour sa compagne, un passeport établi au nom d'Émeline. Silvère remarqua aussitôt que la date de naissance avait été changée : la jeune fille passait à présent pour n'avoir que dix-sept ans. Le jeune homme eut une brève pensée pour sa défunte épouse : celle-ci n'avait-elle pas été, après tout, maîtresse en duperies ? Il remarqua d'ailleurs, à ce moment, que cela lui était devenu indifférent...

Le soir tombait lorsqu'il regagna la ferme où l'attendait Marie. Celle-ci, assise près de l'âtre, semblait en meilleure santé. Elle l'accueillit avec une joie mêlée d'anxiété. Il lui tendit son passeport.

"Apprends-le par cœur ! Il faudra savoir répondre si l'on t'interroge... Et souviens-toi : face aux Bleus, tu es une vraie Républicaine..."

Marie lui répondit par une grimace, puis examina le passeport.

– Émeline ?...

– C'était ma femme. La mère de mon petit Joachim. Je te raconterai assez de détails pour que tu puisses réagir à toute éventualité..."

Ils quittèrent Angers dès le lendemain, dans la voiture légère que leur avait prêté Albert Besnard.

FIN CHAPITRE 2.

1 Le trente novembre, la Flèche avait été prise par une poignée de Vendéens qui avaient réussi à persuader la population et surtout la Municipalité qu'ils représentaient l'avant-garde d'une armée imposante... Ils s'étaient fait remettre les clés de la ville, servir à dîner... avant de s'évanouir dans la nature.